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REPENSER LES MODELES FINANCIERS IMMOBILIERS POUR PERMETTRE LA MIXITE DES ACTIVITES (1 juin 2023)

  • Photo du rédacteur: eohannessianpro
    eohannessianpro
  • 28 nov. 2023
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 nov. 2024


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Avec Matrice nous travaillons depuis quelques temps déjà à un projet de “Cité de l'Impact”. L’objectif est de regrouper, en un même lieu, des acteurs partageant l’envie de contribuer à la construction d’un avenir souhaitable. Nous imaginons que ce rassemblement au sein d’un lieu unique générera la bonne émulation pour penser ensemble et co-construire les transitions dont nous avons besoin collectivement.

Nous avons rencontré beaucoup de difficultés dans la réalisation de ce projet. Même si nous ne sommes pas encore parvenus à le faire aboutir, nous continuons d’y travailler. Certains obstacles rencontrés m'interrogent sur les modèles économiques de l’immobilier, ainsi que sur les virages à prendre.


Nos pérégrinations

En 2021, Matrice identifie une emprise foncière à un emplacement idéal pour le projet : une friche, en bordure est du périphérique parisien. Il s’agit d’une quinzaine de parcelles (certaines privées, d’autres propriété de la ville) et des locaux de production… en sous-production. La réglementation d’urbanisme y impose une programmation d’ensemble et rend possible le recours à l’Établissement Public Foncier d’Ile de France. Cela lui permet de préempter les parcelles et de les soustraire à des opérations de promotion purement spéculatives.

Le contexte semble favorable à notre projet, si bien qu’un investisseur sérieux y croit, décide de nous suivre et de rencontrer les acteurs publics à nos côtés. Hélas, la ville ne prend pas de position. Nous n’obtenons ni visibilité sur la valorisation de ses terrains, ni action concrète de sa part. Des projets de logements se programment sur certaines parcelles sans cohérence d’ensemble. Notre investisseur s’agace des rendez-vous mairie sans projection opérationnelle et nos ambitions de projet à cet endroit s’éteignent.

En 2022, nous voilà face à une nouvelle opportunité en bordure de périphérique : un centre commercial occupé à seulement 1/3 de sa capacité d’accueil dans un secteur à fort enjeu urbain. Il serait parfait pour incarner toutes les transitions sur lesquelles nous travaillons. Nous appelons les copains acteurs de l’ESS, du numérique, du social, de l’environnement, de l’innovation ou de la culture. Tous se montrent enthousiastes pour le projet !

Les perspectives de transformation de ce nouveau lieu reflètent les nombreuses convictions que nous portons collectivement : création de lien social, animation culturelle, innovation transdisciplinaire, acculturation, numérique responsable, éducation à l’écologie, recherche d’impact et remise en question de nos consommations – d’espace, d’énergie, d’équipements. Bref, on se projette.

Le propriétaire est intéressé et collaboratif : on réalise ensemble une étude de faisabilité, des chiffrages, on fait tourner les bilans, et… ça ne fonctionne pas ! Et pour cause : un projet trop cher, des rendements attendus trop hauts – notamment au regard du prix du marché locatif, mais pas seulement.

Alors que le centre commercial est vide, il semble curieusement préférable de le laisser ainsi plutôt que de “risquer” d’avoir des rendements trop bas. On déplore l’absence d’approche plus globale, plus long termiste, ou même de perspectives entrepreneuriales, créative.... L’apport humain, social, environnemental, à savoir la valeur immatérielle du projet ne trouvent pas de traduction dans une évaluation purement financière.

Ce centre commercial, de par ses caractéristiques, sera toujours limité dans sa capacité à accueillir des usages diversifiés, beaucoup d’espaces sont aveugles, les circulations larges et coûteuses à entretenir, chauffer, refroidir. Il faut restructurer pour permettre à ce monument du monde d’hier de vivre les longues années que le béton promet de durer.

Une telle restructuration est coûteuse, trop pour être couverte par des loyers d’acteurs de l’impact seulement. Et puis cette charge ne doit-elle pas être partagée plus largement, d’une part par les acteurs socio-économiques qui ont construit des modèles économiques non viables pour tous, et d'autre part par les politiques publiques qui ont permis cet aménagement non réversible ?

Je m’explique.


MES INTERROGATIONS


1. L'immobilier tertiaire : outil financier au détriment de sa fonction intrinsèque d'hébergement

Par définition, l’immobilier existe pour servir des usages. Il doit permettre aux activités qu’il accueille de s’abriter et de se développer dans de bonnes conditions. Sauf que la financiarisation de notre monde en a fait un objet d’investissement et de rendement. Plus que ses usages, on attend de l’immobilier qu’il serve des intérêts financiers.

L’immobilier est la 2ème charge la plus importante d'une entreprise après la masse salariale. Dans Paris intramuros, son prix spéculatif devient repoussoir pour beaucoup d’acteurs de l’intérêt général ou de l’associatif. Il y atteint des loyers faciaux (hors mesures commerciales) de près de 1000€/m2/an dans le Quartier Central des Affaires (QCA), pour 230€/m2/an aux abords du périphérique selon une étude de marché CBRE 2023).

On peut y voir une belle opportunité pour la périphérie qui les accueille, sauf que celle-ci n’est pas toujours cohérente avec l’objet des structures. Même si les territoires périphériques en développement motivent du fait des synergies territoriales générées et du soutien local, les acteurs s’y localisent souvent pour ne pas supporter la charge immobilière de Paris intra muros. Alors qu’elles ne peuvent pas être soumises aux mêmes conditions de location, les structures associatives ou contribuant à l’intérêt général se trouvent souvent en concurrence avec des entreprises privées d’intérêt financier. Du fait d’une logique de marché, elles se retrouvent généralement exclues du centre.

Le montant des loyers est également le résultat d’un calcul de rendement. De façon très simplifiée: montant de l’investissement divisé par le loyer annuel. Ce montant doit être garanti par un taux objectif qui constitue en partie la rémunération des fonds mobilisés pour l’investissement. La question qui se pose alors est:

Comment peut-on attendre que des structures (souvent associatives) servant l’intérêt général ou l’impact puissent se permettre de payer les mêmes rendements de 7% à 10% que des entreprises d’intérêt uniquement commercial ? D’autant plus que le modèle économique de ces acteurs reposent sur de la frugalité, des salaires souvent moins élevés, voire du bénévolat.

On peut argumenter en disant qu’il est “normal” que les investisseurs qui financent la construction de bâtiments attendent un certain niveau de rendement en contrepartie. Mais à l’heure où notre société doit trouver de nouveaux modèles économiques, financiers et politiques, comment espérer réussir une transition sans ajuster le niveau de promesses qui ne sont plus adaptées ?

Sur ce sujet, les dynamiques de construction et d'exploitation de logement pourraient servir de sources d’inspiration. Le principe général de mixité pour les logements permet la présence de toutes les catégories sociales sur l’ensemble du territoire. Cela est notamment rendu possible par :

  • la réglementation d’urbanisme,

  • l'existence d’acteurs bailleurs sociaux (qui disposent de financements spécifiques)

  • les mesures fiscales encourageant la production de logements abordables en zones tendues.


Cela ne pourrait-il pas être transposé aux destinations tertiaires (bureaux, activités, commerces…) ?

Il est important d’évoluer vers des modèles financiers différents. Ces modèles doivent intégrer le long terme, permettre des variations de rendements, être intégrés dans une approche plus globale. Dans ce sens, on pourrait imaginer que dans toutes opérations immobilières, une quote part de locaux soit soumise à des rendements moindres. Cela permettrait de mettre en place des loyers accessibles destinés à une plus grande mixité d’acteurs économiques et associatifs. Et si la création de la catégorie CINASPIC (constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif) était censée résoudre ce problème, celle-ci ne semble pas suffisante aujourd'hui.

L’immobilier ne devrait plus être un frein à l’activité – en particulier quand cela concerne des projets qui servent intérêt général ou impact. Il me semble donc important de prendre conscience des nombreuses externalités négatives de la financiarisation de l’immobilier.

Cette prise de conscience se reflète dans de nombreuses initiatives récentes. On peut notamment citer le recours croissant à des acteurs de l’ESS ou associatifs pour l’occupation, la programmation et la redynamisation de centres désertés. Ces acteurs contribuent à recréer du lien social, de l’innovation, et des dynamiques économiques locales, en plus d’être porteurs de remèdes aux maux que notre modèle de société a créés.

Différents types d’appels à projets ont vu le jour ces dernières années :

  • Occupations précaires (1 à 3 ans) à prix modéré permettant d’occuper et de gardienner des locaux vides le temps de conception d’un projet immobilier et d’obtention des autorisations administratives avant le démarrage des travaux.

  • Valorisation et animation temporaire de lieux patrimoniaux ou de sites inoccupés. C’est une solution envisagée pour des lieux qui ne trouvent pas de solution d'usage et de modèle économique immédiat. Ces derniers sont alors mis à disposition à prix modérés voire gratuitement.

Cela vient prouver deux choses. Tout d’abord, cela atteste de la reconnaissance de la valeur immatérielle des actions de ces structures, aussi bien dans leurs activités propres que dans leur capacité à redonner sens et vie à un bâtiment et/ou un lieu donné. Et enfin, cela témoigne de l’intérêt de proposer des loyers adaptés à de tels acteurs.

2. Repenser le financement du recyclage urbain

Nos politiques et pratiques en termes d’aménagement et de construction ont généré des quartiers et des bâtiments mono-usage. Alors que les caractéristiques des bâtiments haussmannien tardifs ont permis leurs reconversions successives, notre architecture moderne a privilégié l’optimisation de la construction et voué le bâti mono-fonctionnel à l’obsolescence. Et si de nombreux besoins d’espaces existent, beaucoup d’espaces mono-usage restent vacants.

En Île de France, on dénombre 4,4 millions de m2 de bureaux vides (Challenges mars 2023), 7 millions de m2 commerciaux non utilisés en France, résultat d’une vacance de 11 à 13% sur 73 millions de m2 de surfaces commerciales (Le Monde 02/2022 / INSEE 2020). Autant de potentiel à occuper – et surtout à reconvertir.

Il est aussi important de s’interroger sur la responsabilité et la charge de la reconversion. Dans l’activité industrielle on applique la règle du “pollueur payeur” pour les pollutions générées lors de l’exploitation d’un site.

Cela m’amène à la question suivante : ne pourrait-on pas considérer la non convertibilité du bâti comme une forme de pollution ? Il existe le principe de “remise en l’état initial” pour les sites industriels. Ne devrait-on pas envisager une obligation de “mise en état d’usages multiples” par le Maître d’Ouvrage ? Le tout sans passer par la démolition mais par la restructuration.

Ainsi, la responsabilité et le coût de la reconversion pourraient être partagés entre différents acteurs : ceux qui ont contribué à la réalisation de l’ouvrage comme ceux qui l’ont exploité.

N’est pas ici évoqué le cas de l’immobilier neuf qui devrait être conçu réversible. Dans le cas contraire, celui-ci pourrait se voir taxé pour alimenter un fonds de reconversion, selon le principe du pollueur-payeur. Et si certaines reconversions trouvent un équilibre financier, d’autres n’y parviendront pas – en raison d’un coût trop important ou d’une trop grande complexité de l’opération.

Mais comment accompagner ces dernières ? Comment partager ce coût ?


Pour revenir à la reconversion du centre commercial étudiée. Aux 2/3 vacant, ce site constitue une quasi-friche, en périphérie de Paris, dans un endroit à fort potentiel urbain. Ses caractéristiques techniques (profondeur du bâti, faible isolation thermique, importance des espaces communs…) rendent difficile la réaffectation en l’état, à un autre usage que celui pour lequel il a été conçu.

Quel que soit le projet de reconversion étudié (bureau, formation, production, événementiel, hébergement…), la reconversion est coûteuse. Il sera également difficile de lui trouver un modèle économique selon les critères classiques.

Dans ce contexte, le Maitre d’ouvrage ne peut être tenu pour seul responsable de la situation, et se pose alors la question de la charge partagée. Peut-être a-t-il été déraisonnable dans le dimensionnement du centre. Il n’empêche que sa réalisation a sans doute bénéficié en amont d’un soutien territorial, administratif et financier. Pourquoi cette implication des différents partenaires ne se poursuivrait-elle pas bien après ?

Des décisions d’urbanisme, comme il en a été prises pour ce centre, ont autorisé la création d’autres zones commerciales avoisinantes. Ces dernières ont constitué une concurrence directe pour le site. Cela a eu pour effet d’aspirer une partie de l’offre commerciale du centre et de contribuer à sa désertion. On pourrait donc considérer que les autorités administratives et territoriales ont elles aussi une part de responsabilité dans cette obsolescence. Bien sûr, la question se pose également pour l’ensemble des acteurs qui ont permis à ces projets de voir le jour.

C’est pourquoi il me semble aussi important de poser la question de la responsabilité partagée des reconversions de friches sans modèle économique privé. Des initiatives comme le fonds friches participent à alléger le coût de ces opérations, mais il faut encore d’autres solutions.

De nombreuses initiatives ont vu le jour, principalement impulsées par les territoires et les acteurs publics. On peut notamment citer les préfigurations ou programmations ouvertes. Mais à l’heure de la crise climatique et du Zéro Artificialisation Net (ZAN), il me semble indispensable :

  • d’associer davantage les acteurs privés (investisseurs institutionnels, promoteurs, prêteurs, exploitants, etc.)

  • de faire évoluer les modèles économiques classiques peu inclusifs vers de nouvelles approches plus durables et vertueuses

Nous avons collectivement intérêt à réfléchir de nouveaux modèles financiers immobiliers pour permettre les reconversions complexes d'une part, et à tous les acteurs de l’impact d’héberger leurs activités dans de bonnes conditions. Cela participera au rayonnement des actions de ces derniers le plus largement possible, ainsi qu’à notre société d’en être les premiers bénéficiaires.



 
 
 

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